Ce que la tragédie racinienne met au jour, c’est une véritable universalité du langage. Le langage absorbe ici, dans une sorte de promotion enivrée, toutes les fonctions dévolues ailleurs à d’autres conduites; on pourrait presque dire que c’est un langage polytechnique: il est un organe, peut tenir lieu de la vue, comme si l’oreille voyait, il est un sentiment, car aimer, souffrir, mourir, ce n’est jamais ici que parler; il est une substance, il protège (être confondu, c’est cesser de parler, c’est être découvert); il est un ordre, il permet au héros de justifier ses agressions ou ses échecs et d’en tirer l’illusion d’un accord au monde; il est une morale, il autorise à convertir la passion en droit. Voici la clef peut-être de la tragédie racinienne: parler, c’est faire, le Logos prend les fonctions de la Praxis et substitue à elle: toute la déception du monde se recueille et se rédime dans la parole, le faire se vide, le langage se remplit.

In Roland Barthes, Sur Racine, Club français du livre, 1960 (1ère édition), Seuil, Poche, p. 66.

A proposal by Laurent Courtens, Centre de la parole, ISELP

DEBATTRE, LAURENT

L’intérêt de l’idiotie ne réside pas dans le spectacle qu’elle donne d’elle-même, lequel ne sait qu’affliger. Il consiste plutôt en l’espèce de poudre volatile qu’elle abandonne sur le carreau: débris, pulvérulents, toxiques, produits de son carnage déraisonnable. De même qu’un moulin, qui ne saurait séduire par le mouvement répétitif et sans invention de ses meules, ne doit sa valeur qu’à la qualité de sa farine. Et ce qu’elle s’essaye à broyer, l’idiotie, ce ne sont pas simplement les idéaux ascétiques en quoi Nietzche voyait pour le philosophe, le prêtre et l’artiste « la foi sacerdotale proprement dite, le meilleur instrument de leur pouvoir et aussi l’autorité suprême de l’exercer », c’est également l’idéalisme tout court (…).

Jean-Yves Jouannais, « Le siècle Mychkine ou l’idiotie en art », in Art Press 216, septembre 1996

A proposal by Laurent Courtens, Centre de la parole, ISELP

DEBATTRE, LAURENT, MEDIER, PAULINE

L’idiotie est opposée à la prétention, à ce qui s’efforce de faire accroire à de la profondeur là où il n’y a que du sérieux, la prétention qui n’est pas tant l’utilisation performante de l’intelligence qu’un usage de la culture à des fins d’intimidation.

Jean-Yves Jouannais, « Le siècle Mychkine ou l’idiotie en art », in Art Press 216, septembre 1996

A proposal by Laurent Courtens, Centre de la parole, ISELP

DEBATTRE, LAURENT, MEDIER, PAULINE

“Isn’t it strange that public institutions don’t reflect upon their own significance, even though the urgency is so great?”

Bart de Baere, Ann Demeester and Nicolaus Schafhausen, “Afterword: Let’s Go Back to the Beginning”, in Institutional Attitudes. Instituting Art in a Flat World, Pascal Gielen (ed.), Antennae Series n°8 by Valiz, Amsterdam, 2013, p. 231.

 

 

DEBATTRE

Simon Sheikh, Au lieu du public? Ou: Le monde en fragments (extrait)

DEBATTRE, LAURENT, MEDIER, PAULINE

Si nous introduisons le monde artistique comme sphère publique particulière, nous devons explorer cette notion selon deux approches. Premièrement, comme une sphère qui n’est pas uniforme, mais agoniste, et une plate-forme où s’expriment des subjectivités, des politiques et des économies différentes et divergentes: un « champ de bataille », comme l’ont défini Pierre Bourdieu et Hans Haacke. Un champ de bataille, sur lequel différentes positions idéologiques aspirent au pouvoir et à la souveraineté. Et deuxièmement, le monde artistique n’est pas un système autonome même s’il aspire parfois à l’être ou même s’il prétend l’être, mais un système réglementé par des économies et des politiques, et il a des liens avec d’autres champs et d’autres sphères, ce qui devint évident surtout dans la théorie critique et dans des pratiques artistiques contextuelles critiques.

Simon Sheikh, « Au lieu du public? Ou: Le monde en fragments », 06/2004, eipcp.net.

From the very moment that art started calling itself ‘contemporary’ (everything that is made now is contemporary and therefore has no historical depth, but neither does it have a future), it not only lost its verticality. By applying such sterile self-labelling (which by the way is remarkably in tune with the movement in the 1970s through the 1980s towards post-Fordism and neoliberalism), art lost its own voice. Everything that is made today can be labelled ‘contemporary’ and this automatically disqualifies anything that was made yesterday. Contemporary art refuses to make a clean break with the past, precisely through an uncomplicated forgetting. But in its embrace of the hyper-current, art above all lost the vigour to really concern itself with history. The intoxication of the contemporary leaves no time for solidification and so everything remains fluid. In its desire to be ‘with it’, to ‘keep up with the times’ and not, like the historical avant-garde, be ahead of its time, contemporary art gave up on any utopian plan to really intervene in the world. In short, the route from fiction to non-fiction was closed. Contemporary art has exiled itself to a safe island within the white walls of the purely imaginary, where anything is possible as long as it makes no claim to reality.

Pascal Gielen, ‘Institutional Imagination: Instituting Contemporary Art Minus the ‘Contemporary’, in Institutional Attitudes. Instituting Art in a Flat World, Valiz, 2013, p. 31.
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